Sa fille de 6 ans étant présente, je vais m’enfermer dans la salle de bain afin d’essayer de la retrouver. Elle est très profonde mais – après quelques minutes de recherche – j’arrive bien à identifier sa forme. Je ne m’inquiète pas plus que cela, ma meilleure amie Oriane a eu la même chose très récemment et une mammographie a révélé que ce n’était rien. C’est elle qui me rappelle tous les mois de toucher ma poitrine pour « vérifier » qu’il n’y ait rien d’anormal et qui me montre des tutos d’auto-palpation ; je sais donc comment procéder. Il faut le réaliser d’abord les bras en bas et ensuite les bras en l’air, et c’est dans cette dernière position que j’ai pu détecter une grosseur.
Je lui en fait part quelques jours plus tard et lui demande, par la même occasion, les coordonnées de son gynécologue. Je n’en connais pas à Paris, étant rentrée vivre en France 10 mois plus tôt, après 7 années à l’étranger. Elle me rassure en me disant que ce n’est probablement rien, mais que je fais bien d’aller m’en assurer et que je me sentirai mieux après cela. La semaine suivante, à ma pause déj’ – durant un shooting de vêtements pour internet, je prends rendez-vous à son cabinet. Il n’y a pas de place avant le 10 septembre, ça attendra.
À ce moment-là, ça fait 10 mois que je suis avec Camille, au summum du bonheur. Je l’ai rencontré au lendemain de mon retour en France, dans un contexte compliqué car mon père était en train d’être emporté par un cancer. J’étais rentrée des Etats-Unis après un an et demi sans avoir pu venir voir mes proches et j’avais passé quelques semaines auprès d’eux durant l’été. Le dernier jour de mes vacances, j’accompagne mes parents à un rendez-vous médical pour mon père, avec un médecin de l’hôpital. Celui-ci étant suivi de près pour son cœur en particulier et depuis des années ; nous ignorons ce que va nous dire le médecin. Nous attendons durant une heure en salle d’attente et cela me parait interminable. J’ai un très mauvais pressentiment et j’ignore pourquoi. Mon père a en horreur les hôpitaux pour y avoir passé déjà un certain temps au cours de sa vie. On étouffe dans cette attente anxiogène et je n’y tiens plus, je cours à la cafétéria acheter le journal pour mon père. Je veux qu’il pense à autre chose, je peux sentir son angoisse c’est dingue. Lorsque je suis de retour en salle d’attente, on est déjà venu les chercher. Je panique, je demande aux gens autour de moi dans quelle direction on les aurait vu partir. On m’indique un couloir dans lequel je m’engouffre et me met à toquer à toutes les portes. Lorsque je trouve la pièce où sont mes parents, une infirmière et un docteur ont commencé à expliquer l’analyse des résultat. Je défonce presque la porte, ce qui effraie une seconde le médecin. La tension est palpable, j’ai tout de suite compris ce qu’ils allaient nous annoncer. « Ce sont des cellules cancéreuses « . À l’estomac. Au foi. Ils nous expliquent à demi-mot que c’est déjà trop tard, déjà la fin. Je ne pense jamais avoir été aussi triste de ma vie. J’ai senti mon âme se fendre en deux. C’était injuste, incompréhensible. Il y a des choses que l’on ne peut partager et je garderai pour moi ces dernier moments avec mon père. Ce fut abominable sans que je ne regrette une seule des secondes passée auprès de lui. Un jour où c’était trop dur, j’ai appelé Philippe (mon meilleur ami depuis que j’ai vingt ans et une extension de moi même). Ses mots furent : « Même si c’est dur de le voir dans cet état, reste toujours auprès de lui pour que quand il ne sera plus là, tu n’aies pas de regrets ». C’est tout bête comme conseil, n’est ce pas ? et pourtant, c’est dans ces moments là que l’on a besoin de les entendre, quand la réalité / la logique nous échappe. Ce fut une épreuve très douloureuse pour ma famille, surtout pour ma mère car il ne s’est écoulé qu’un mois entre le temps du diagnostique et le jour de son décès. Tout s’est passé tellement vite que l’on a à peine eu le temps de réaliser la gravité de la situation. Camille a été ma bouée de secours dans ces temps de ténèbres. Il n’a rien pu faire de particulier pour m’aider – car nous nous connaissions à peine – mais simplement de l’avoir dans mon cœur et à mes côtés m’a aidé à ne pas flancher. Je m’étais fixée de repartir à New York au printemps mais une fois amoureuse de lui, mon cœur était désormais à Paris. Pour son anniversaire il y a 4 mois, il m’a demandé comme cadeau de venir m’installer avec lui et sa fille. Depuis nous cherchons notre nouveau chez-nous, nous voulons quelque chose qui sera à notre image à tous les trois. C’est la version idyllique de notre vie car, bien sûr, elle n’est pas un long fleuve tranquille, mais pour la résumer : nous sommes heureux.
Le 10 septembre arrive et je me rend donc à ce cabinet parisien. Le docteur gynécologue est sympathique. Il ne trouve pas tout de suite la boule que j’ai sentie l’autre soir, alors je prends moi même sa main pour la lui faire toucher. Ce que j’écris ici a son importance, car aujourd’hui j’ai conscience qu’une palpation où l’on ne détecte rien ne dois pas exclure, en fonction de l’âge et des antécédent familiaux, qu’une mammographie soit pratiquée. Si je n’avais pas moi-même pris sa main pour lui faire sentir cette boule, lui-même ne l’aurait pas détectée et on serait complètement passé à côté. De toute façon, le praticien ne prend pas de risque. Une de mes tantes (maternelle) est décédée des suites d’un cancer du sein il y a quelques années ; je dois donc être sérieusement suivie. Il fait ordonner une mammographie pour la semaine suivante. Lorsque je règle la consultation, on m’annonce un montant de 110 euros. J’envoie une vidéo à Oriane une fois sortie du cabinet et lui dit sur le ton de l’humour (toujours) : « 110 balles ma vieille ! À ce prix là, j’espère qu’ils vont au moins me trouver un cancer ! »
Crédit illustration : Katie Edmunds
Alice Detollenaere
mannequin, digital activist & combattante du cancer
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