- à propos du cancer du sein -

muffins comme des seins

L'OPÉRATION

Le jour de l'opération arrive enfin !

J’ai eu entre temps rendez-vous avec l’anesthésiste et la doctoresse. Camille est avec moi, d’un soutient infaillible. J’ai hâte que tout soit terminé. Je ne me rends pas au bloc à reculons, bien au contraire j’aurais presque envie d’accourir. Un mois s’est écoulé depuis que je suis venue ici pour la première fois et depuis le temps m’a paru suspendu. Je ne vis que dans l’attente de cette intervention. Après cela je devrais attendre de nouveau un mois pour recevoir les résultats définitifs en fonction de ce qu’ils trouveront dans mon sein retiré. Un mois où je n’ai eu de patience pour personne, où j’ai fait un tri radical dans nos amis. L’impact psychologique a des effets pervers. Je ne supporte plus personne. Lorsque nous sortons déjeuner avec Camille – ce qui arrive rarement – j’ai envie d’envoyer promener ceux qui lui demandent des photos. Auparavant, je ne m’offusquais pas plus que ça que l’on ne m’adresse pas un bonjour quand on venait interrompre notre conversation pour un selfie. Aujourd’hui, je me sens violée dans notre intimité, j’ai envie de les insulter et de leur demander « Tu vas mourir si tu n’as pas ton selfie ? » Tout ça me parait grotesque. Si mon corps m’a trahie, si je ne suis plus en bonne santé alors tout ceci n’a plus de sens ; j’ai envie de leur expliquer à tous ces gens qui gravitent autour de nous que put*in, en fait la vie ça tient à rien et qu’on peut supprimer nos comptes Instagram, jeter nos téléphones, ça sert plus à rien d’aller prendre de l’essence et de tondre le gazon ni d’économiser de l’argent ou de regarder les étoiles, et encore moins de prendre des putains de selfies qui changeront rien à ta vie ; si une partie de toi s’est révélée être un traitre, alors tout ça ne vaut pas la peine. Je traverse difficilement cette période et Camille tient bon à mes côtés. Je lui ai dis textuellement que s’il voulait être auprès de moi alors j’avais vraiment besoin de lui et j’ai compris qu’il relevait le challenge d’être un pilier solide. Camille n’est pas quelqu’un qui s’exprime dans l’intimité. Il écoute et se manifeste dans ses actes. Je dois interpréter moi-même ses regards et ses silences, ce qui me va puisque je donne plus de valeurs aux actes qu’à la parole. 

Sereine puis euphorique

J’arrive sereine à l’intervention, première étape de ma délivrance. Nous patientons durant 2 heures dans ma chambre et je revêtis l’habit (sexy) d’hôpital. Pour passer le temps nous regardons des épisodes de La Casa del Papel, allongés sur mon lit. On vient enfin me chercher. Je mets ma charlotte sur la tête et embrasse mon âme-sœur, consciente que je ne suis pas sous mon plus beau jour dans mes nouveaux vêtements hein. En salle de préparation, on procède d’abord à une anesthésie locale que l’on pratique dans le dos, destinée à réduire au maximum la douleur de l’intervention et réduire le risque d’apparition de douleur fantôme. Pour recevoir cette anesthésiant, on m’administre un « étourdissant » surnommé la coupe de champagne et qui va me détendre durant la piqûre. Je passe du stade de sereine à euphorique. Une joie sourde, j’ai envie d’embrasser tout le monde. Il faut dire que chacune des personnes ici est dotée de conscience professionnelle et humaine. Chaque personne qui vient à moi se présente, m’explique exactement ce qu’il fait. Ça y est, c’est mon tour. Ma doctoresse est là, avec un masque chirurgical bleu, un vrai rayon de soleil. Elle a quelques mots gentils pour moi. Son chef de service – que je n’ai jamais vu et à qui je vais présenter ma poitrine dénudée avant de lui confier ma vie – trace sur ma peau (au feutre) ma future cicatrice qui est déjà en forme de sourire. Il me regarde dans les yeux pour échanger quelques mots et je me sens rassurée, je me sens bien. Je m’endors dans un sommeil chimique en tenant la main d’une infirmière au masque bleu. Je me réveille dès que je sors du bloc, encore dans les vapes. Je demande l’heure et l’infirmière me dit qu’il est 17h30. « Je dois retourner à ma chambre, mon copain va m’attendre. » Elle me rassure en me disant qu’ils le tiennent informés, puis me demande mon seuil de douleur sur une échelle de 1 à 10. « 4 et demi », puis je me rendors. Lorsque je rejoins ma chambre, Camille est appelé sur son téléphone par l’infirmière et il vient me retrouver.

Alice Detollenaere avec Camille Lacourt à l'hôpital
Alice Detollenaere avec Camille Lacourt à l'hôpital
Alice Detollenaere avec Camille Lacourt à l'hôpital

Le débrief

Je me sens bien, je n’ai pas de douleur sinon une gène à cause des drains. Il est étonnée de me voir autant en forme. J’appelle mes proches pour les rassurer. L’infirmière vient s’assurer que mon sein va bien et je peux commencer à appréhender cette nouvelle partie de moi même. Je porte un bandage qui m’empêche de voir le résultat mais en terme de volume et de forme je n’ai pas l’impression que c’est si différent. La différence vraiment notable c’est que je n’ai aucune sensation sur la poitrine mais aussi sous l’aisselle et une partie du plexus. Je m’inquiétais pour la cicatrice sans savoir que l’absence de sensation serait plus handicapante ; encore 4 mois après l’opération alors que j’écris ces mots. Le lendemain nous changeons le bandage et je peux enfin voir la cicatrice d’une vingtaine de centimètres. Elle est propre et nette. Des bleus sont apparus sur le mamelon. Je suis plutôt contente du résultat. Les drains deviennent difficile à supporter, je sens les tuyaux de plastiques qui tirent sous la peau. Je n’ai pas de fièvre, pas d’œdème inquiétant, je vais continuer une hospitalisation à domicile. La chirurgienne qui est passée me voir m’explique comment s’est déroulée l’intervention. Il n’y a pas eu de problème, maintenant il faut attendre les résultats et ils peuvent être diverses : 
a) Les résultats peuvent revenir négatifs, rien de plus ne sera trouvé. 
b) On peut trouver plus de cellules cancéreuses, les mêmes trouvées lors de la première biopsie. 
c) Si les cellules sont retrouvées dans la zone du mamelon, il faudra ré-intervenir et le retirer.
d) On peut trouver de nouvelles cellules cancéreuses, plus agressives que les premières. En fonction de leur dangerosité on décide d’un traitement complémentaire.
e) On peut trouver des cellules dans la chaine ganglionnaire sous l’aisselle, ce qui témoigne d’un passage du cancer hors du sein dans l’organisme. 
Je réfléchis à toutes les options et tente de m’y préparer. Pour le moment je dois me remettre de l’opération.

Le retour à la maison se fait sans trop de complications.

On m’a donné un sac à bandoulière dans lequel je porte les bouteilles qui sont reliées à mes drains. Mon principal handicap étant de ne pas les arracher en m’accrochant dans quelque chose ou en les faisant tomber ; et à penser à toujours les mettre plus bas que le niveau de mon buste pour que le liquide sécrété dans mon sein s’écoule correctement. 

Alice Detollenaere après l'opération

La deuxième chose la plus dérangeante étant la mobilité de mon bras. Beaucoup de nerfs ont été sectionnés puis ressoudés, il a besoin de temps pour sa rééducation. Au début Camille doit m’aider pour tout : prendre ma douche, aller aux toilettes, tous les gestes du quotidien finalement. L’infirmière passe le soir-même et me donne toutes les recommandations en cas de problème. Mes bouteilles ne se remplissent pas beaucoup, ce qui est bon signe car si mon corps ne sécrète rien on pourra les enlever bientôt. On m’avait prévenue : je pouvais les garder jusqu’à 7 jours et j’ai espéré que ce ne soit pas le cas. J’ai des anti-douleurs puissants que je prends au début pour supporter la présence des drains mais que j’arrête rapidement car je n’aime pas me sentir shootée dés le matin au réveil. Je commence à voir venir l’après-coup de l’opération et il est facile de déprimer ; les médicaments n’aident pas en ce qui me concerne. L’infirmière passe chaque jour, on m’enlève les drains au bout de seulement deux jours, à domicile. C’est assez impressionnant et pas du tout agréable mais un tel soulagement. Mon hospitalisation à domicile est officiellement terminée. L’infirmière à peine partie, je demande à Camille si nous pouvons aller prendre un café dehors pour commencer à reprendre le cours de nos vies. Il y a un café à 10 minutes à pieds où nous pouvons rejoindre un ami. Au bout de cinq minutes à l’extérieur, je comprends que ça ne peut pas être aussi simple que je l’imaginais. Le vent frais et la fatigue me donnent des frissons et mon corps en se contractant apprends à réagir sans sa partie manquante. Je sens qu’il veut compenser ailleurs, que ça tire ici et là. Je remarque que j’ai le souffle coupé car durant la période de mes drains j’ai adopté une posture qui me faisait moins mal mais qui n’était pas naturelle, et je dois maintenant tirer sur la cicatrice pour respirer amplement. On prend ce café et c’est bon de voir les amis, de se promener aussi, même si j’ai l’impression d’avoir 90 ans. On rentre ensuite à la maison avec la sensation d’avoir couru un marathon. Les jours qui suivent, je n’arrive pas à lâcher Camille : j’ai peur de rester seule, je ne parviens pas à lui lâcher la main. Il m’emmène avec lui à ses déjeuners d’affaire, ses rendez-vous professionnels, je ne me suis jamais sentie aussi dépendante de quelqu’un. 

Un bon exemple

Nous avions un peu abordé le fait de parler ouvertement de mon cancer, j’avais demandé son avis à Camille. Me voyant déjà en détresse, il m’avait déconseillé de le rendre public. Avec le temps, j’ai compris que la source de mon mal-être était aussi alimenté par ce secret qui n’avait pas lieu d’être. Je mentais à tout le monde depuis plusieurs mois. Je n’avais pas conscience de ce dans quoi je me lançais lorsque j’ai décidé de me taire, de tout garder pour moi : fichu cercle vicieux. Les absences, les changements d’emploi du temps ou les retards, puis les pansements et les bleus des biopsies, maintenant qu’est ce que j’allais dire ? J’étais fatiguée de tout ce cirque. Je n’avais pas l’impression de me respecter et avec le temps est née aussi l’idée que je n’avais pas l’impression d’être un bon exemple. Pourquoi devrais-je me taire ? Je trainais mon mensonge comme une honte alors que j’aurais dû en être fière. Si une autre femme avait été dans ma situation, je ne lui aurais pas conseillé de prendre les mêmes décisions. À cet instant m’apparait cette notion de responsabilité. Bien sûr que je n’avais pas prévu tout ça, ce n’était clairement pas dans mes plans. Je n’ai jamais eu l’envie – à la base -d’être une représentante du cancer avec tout ce que ça entraine de sexy, plutôt dans le rôle de la nana bombasse qui pose en maillot de bain par exemple. Mais voilà, alors quelle décision j’avais à prendre ? J’aurais pu retourner à ma vie et continuer de poser en bikini. En terme d’exemple, je n’avais rien à prouver à personne puisque peu de gens savaient. C’est en pensant aux autres filles qui seraient dans la même situation que j’ai eu envie de prendre mes responsabilités. C’était devenu évident. Le soir même j’ai rédigé un message pour les réseaux et j’ai fait mon coming out. Quand Camille l’a vu, on a pleuré tous les deux. Il a compris que j’en avais besoin pour avancer. Le lendemain je restais seule à la maison, j’étais prête à aller mieux. J’avais au fond de moi une inquiétude permanente quant aux résultats post-opératoires. L’espoir fait peur. J’espérais tellement que tout irait bien.

Le dénouement final

Un mois s’est écoulé et nous sommes dans la salle d’attente. On essaye de parler de tout et de rien pour tromper l’angoisse. Il y a du retard, une minute équivaut à 100 ans. On appelle mon nom. Je reconnais ma doctoresse, je suis heureuse de la voir. À peine entrée dans le bureau, elle me demande comment je vais. Je vais bien, je ne pensais pas me remettre physiquement aussi vite. Elle regarde mon sein, tout à l’air en ordre. Puis nous nous asseyons et je prends la main de Camille. Je suis pendue aux lèvres de la doctoresse ; heureusement, elle ne fait pas longtemps durer le suspense. « On a retrouvé 8 millimètres de cancer. C’est un carcinome in situ. Il s’agit du même type de cellules mais celles-ci étaient passées dans les tissus. C’est donc une forme plus avancée de ce que nous avions trouvé la première fois. L’analyse ganglionnaire a révélé que le cancer ne s’était pas propagé au delà de la zone mammaire. Nous ne préconisons pas de traitements complémentaire. » J’ai broyé la main de Camille. Je laisse échapper un soupir de soulagement et me tourne vers lui. On échange un regard durant deux secondes qui veut dire tout ce que l’on a sur le cœur. Je remercie ma doctoresse du mieux que je peux car je suis très émue et je ne trouve pas les mots. Elle a su me redonner confiance et je n’aurais jamais assez de gratitude à lui exprimer. Lorsque nous sortons de l’hôpital, nous sommes dans un état second. Cette nouvelle vient de révéler quelque chose. Je suis guérie. Et c’est mon intuition qui m’a sauvée.

Alice Detollenaere selfie : GIRLS CAN DO ANYTHING

Crédit photo d’illustration : Annie Spratt

4 réflexions sur “L’OPÉRATION”

  1. J’ai vécue en tout point la même chose que toi et sans le savoir j’ai été suivie par la même oncologue que toi. C’est dur de te lire car je revivais ma situation cela fait 4 mois que je me suis faites opérée et je m’aperçois que tout n’est pas guerri encore.

  2. Merci infiniment pour ce blog si simple et touchant. Votre parcours permet de se sentir moins seule…et vous avez mis des mots sur tellement de ressentis, notamment des « gens » autour qui en effet ont des réactions étranges. Par moment je me sens un faire valoir de bonne conscience alors que je n’attends rien des autres. J’ai la chance d’avoir un homme qui tient la route tout comme le vôtre…et me porte un amour inconsidéré..c’est une chance extraordinaire ! Ce cancer m’oblige à faire le deuil d’un deuxième enfant…en plus du reste (les cheveux, le travail..)..mais la vie est tellement belle! Nous ne serons plus jamais les mêmes…mais nous même en mieux !
    Je vous souhaite tout le bonheur du monde avec l’arrivée de votre petite merveille ! Ma fille est un cadeau qui n’a pas de prix! Avec mon homme, ils sont les piliers!
    Merci encore pour votre partage!

  3. bonjour alice
    je viens de vous lire et une chose m’interpelle. Vous avez été reconstruite avant les résultats?
    La chirurgienne qui à pratiqué ma mastectomie le 11 janvier 2021 m’a conseillé d’attendre les résultats de l’anapth avant toute reconstruction
    Si ce n’est pas trop personnel et indiscret, vous avez opté pour quel forme de reconstruction ?
    profitez de votre grossesse, ce n’est que du bonheur

  4. Bonjour, pour ma part, ma reconstruction n’a pu débuter qu’après avoir obtenu les résultats d’anapath et après avoir pris connaissance du traitement qui allait être mis en place. Heureusement pour moi, il se réduit à l’hormonothérapie. Pour la reconstruction, ma chirurgienne m’a conseillé de faire un maximum d’injection de graisse car c’est beaucoup plus naturel et puis en cas de mise en place d’une prothèse, cela permet de bénéficier d’une couche protectrice avant la peau . Je suis donc d’abord partie sur ce type de reconstruction. J’ai donc subi une première injection de graisse le 9 juillet 2020 après une mastectomie totale du sein gauche le 16 mars 2020. N’ayant pas assez de graisse, la reconstruction par prothèse s’est ensuite imposée et j’ai donc subi une nouvelle intervention le 24/11/2020. Cela fait maintenant un peu plus de trois semaines que j’ai subi une intervention pour symétriser l’autre sein (18/03/2021). Une véritable délivrance pour moi après plusieurs phases d’acceptation des changements de mon image et la constatation que tout cela a torturé mon corps alors que je n’avais rien demandé. Je suis maintenant contente du résultat. Il restera la finition avec le téton. Affaire à suivre donc … Merci Alice de partager ton expérience et profite bien de ta grossesse.

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Alice Detollenaere
mannequin, digital activist & combattante du cancer

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